Vie privée et droit à la preuve

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Vie privée et droit à la preuve :

Traditionnellement, l’application de l’article 9 du Code civil [Chacun a droit au respect de sa vie privée] et l’article 9 du Code de procédure civile conduisait à refuser des preuves obtenues en violation de la vie privée des salariés.

Les autres chambres de la Cour de cassation avaient une vision plus partagée estimant que le droit à la preuve pouvait justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi[i] .

Peu à peu, la Chambre sociale s’est alignée sur ce principe.

  • Vie privée et action des représentants du personnel

La situation était la suivante : des photographies avaient été réalisées par un délégué du personnel : photos de locaux professionnels, photos de contrats de travail, de bulletins de paie, permettant de démontrer le non-respect du repos dominical par une entreprise.

Un Syndicat avait agi, et obtenu, en référé du Tribunal Judiciaire qu’il interdise, sous astreinte, l’activité professionnelle dominicale sans autorisation administrative.

La Cour de cassation amenée à se prononcer sur la licéité des photographies retient pour la première fois que :

L.3171-2 du code du travail, qui autorise les délégués du personnel à consulter les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, n’interdit pas à un syndicat de produire ces documents en justice ; que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi[ii].

  • Vie privée et égalité de traitement

La Cour d’appel de PARIS dans le cadre d’une procédure de référé avait ordonné la communication par un employeur des éléments de comparaison relatif au montant d’une part variable.

Elle estimait que le salarié avait un intérêt légitime à obtenir la communication de ces documents en vue d’établir une inégalité de traitement, faisant ainsi une logique application de l’article 145 du Code de procédure civile.

Mais, la Cour de cassation a estimé que la Cour d’appel aurait dû rechercher si la mesure demandée ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie personnelle des salariés concernés. [iii]

  • Vie privée et égalité de traitement

La Cour d’appel de PARIS dans le cadre d’une procédure de référé avait ordonné la communication par un employeur des éléments de comparaison relatif au montant d’une part variable.

Elle estimait que le salarié avait un intérêt légitime à obtenir la communication de ces documents en vue d’établir une inégalité de traitement, faisant ainsi une logique application de l’article 145 du Code de procédure civile.

Mais, la Cour de cassation a estimé que la Cour d’appel aurait dû rechercher si la mesure demandée ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie personnelle des salariés concernés. [iii]

  • Vie privée et réseau social   

La possibilité pour un employeur de produire en justice un extrait d’un compte privé de l’un de ses salariés sur un réseau social avait été refusée en 2017.

La jurisprudence considérait qu’il s’agissait là d’une preuve illicite[iv].

Mais, le 30 septembre 2020 la Cour de cassation a jugé que la production d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée pouvait constituer un mode de preuve licite.

Cette preuve peut être admise sous condition que cette production soit indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires.[v]

  • Vie privée et adresse IP   

La Cour de Cassation poursuit l’évolution de sa jurisprudence.

Les faits étaient les suivants :

Un salarié de l’AFP, également correspondant informatique et liberté au sein de l’agence, est licencié pour faute grave, pour avoir adressé à une entreprise cliente et en même temps concurrente de l’AFP, cinq demandes de renseignements par voie électronique en usurpant l’identité de sociétés clientes.

L’AFP établit les faits reprochés au moyen d’un constat d’huissier et d’un expert informatique qui identifient, grâce à l’exploitation des fichiers de journalisation conservés sur ses serveurs, l’adresse IP à partir de laquelle les messages litigieux ont été envoyés, comme étant celle de ce salarié.

Licencié pour faute grave, le salarié conteste et n’obtient pas gain de cause.

La Cour d’appel retenant qu’une déclaration préalable de l’utilisation des fichiers de journalisation et adresses IP n’était pas nécessaire.

La Cour de cassation prononce une cassation de l’arrêt.

La Cour de cassation estime au contraire que les adresses IP permettant d’identifier indirectement une personne physique sont des données à caractère personnel dont le traitement devait faire l’objet d’une déclaration préalable.

Mais, elle admet que l’illicéité d’un tel moyen de preuve n’entraîne pas systématiquement son rejet, invitant le juge du fond à rechercher dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité si l’atteinte portée à la vie personnelle du salarié par une telle production est justifiée au regard du droit à la preuve de l’employeur.

Elle précise par ailleurs que cette production doit être indispensable et non plus seulement nécessaire à l’exercice de ce droit.

L’influence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme n’est pas étrangère à cette évolution, au visa des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde, il a été admis sur le fondement du droit au procès équitable et du droit à la preuve qui en découle, la validité des moyens de preuve obtenus au détriment du droit à la vie privée.[vi]

Ceci étant en pratique l’utilisation de ce mode de preuve se fera avec circonspection.

Puisque si la preuve peut sous réserve être utilisée, concomitamment il est jugé que « la seule constatation de l’atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation » [vii]!

Cette jurisprudence sera-t-elle étendue aux correspondances à caractère personnel ?

[i] Cass. Civ 1ere 25 février 2016 n°15-12403

[ii] Cour de cassation, civile, Chambre sociale 9 novembre 2016 n°15-10203

[iii] Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 11 décembre 2019, 18-16.516

[iv] Cass. soc. 20-12-2017 n° 16-19.609

[v]  Cass. soc. 30-9-2020 n° 19-12.058

[vi] CEDH, 5 septembre 2017, n° 61496/08) et Lopez Ribalda (CEDH, 17 octobre 2019, n° 1874/13 et 8567/13)

[vii] Cass. soc., 12 nov. 2020, n° 19-20.583.

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